lundi 7 septembre 2009

Présentation et critique de La Psychologie des foules de Gustave Le Bon


Présentation de l’auteur :


Gustave Le Bon (7 mai 1841 – 13 décembre 1931) naît à Nogent-le-Rotrou et meurt à Marne-la-Coquette. Fils d’un conservateur des hypothèques, il effectue son lycée à Tours avant d’obtenir son doctorat de médecine à Paris en 1866. Entre 1860 et 1880, il parcourt l’Europe, l’Asie et l’Afrique du Nord. A partir de ces diverses expériences, il écrit des récits de voyage mais aussi des ouvrages d’archéologie et d’anthropologie. Son premier fait d’arme est la parution en 1894 des Lois psychologiques de l’évolution des peuples, suivie dès l’année suivante par celle de La psychologie des foules. Dans la foulée, Le Bon participe activement à la vie intellectuelle française en organisant dès 1902 des « déjeuners du mercredi » qui réunissent notamment les frères Poincaré, Paul Valery et Henri Bergson.


La psychologie des foules a eu, dès sa sortie, un impact considérable. Les idées développées dans cet ouvrage jouèrent un rôle considérable au début de la psychologie des masses : dans Psychologie collective et analyse du moi (1921), Sigmund Freud fonde ses analyses sur une critique de l’œuvre de Le Bon. Le Bon fut en effet l’un des vulgarisateurs des théories de l’inconscient à un moment où se formaient les nouvelles théories de l’action. La vulgate a d’ailleurs longtemps associé les idées de Le Bon en terme de psychologie des foules à la naissance des théories et pratiques totalitaires du début des années 1920. Autant préciser d’emblée que Le Bon n’a fait qu’analyser les phénomènes de techniques de manipulation des foules, ce qui peut aussi bien aboutir à les utiliser pour manipuler les foules qu’aider à s’en préserver en étant conscient des risques réels de manipulation.


Dans le même ordre d’idées, son œuvre sur la psychologie des foules a pris une importance considérable dans la première moitié du 20e siècle quand elle a été utilisée par des chercheurs en sociologie des médias comme Hardly Cantril ou Herbert Blumer pour décrire les réactions des groupes face aux médias.


1. Présentation générale de La psychologie des foules

2. Discussions et critiques



1. Présentation générale de La psychologie des foules



  • Qu’est ce qu’une foule ?

Au sens ordinaire : une réunion d’individus quelconques. Au sens psychologique, la définition s’étoffe : dans certaines circonstances, le groupe d’individus acquiert des caractères nouveaux qui n’ont rien à voir avec les caractères propres à chacun de ses membres pris individuellement. Comme il n’y a plus de personnalité consciente et que les sentiments et les idées de chacun sont orientés dans la même direction, on peut dire que se forme une « âme collective ». La collectivité devient une foule organisée ou « foule psychologique » et répond à la « loi de l’unité mentale des foules ». Cette âme collective est cependant transitoire. Si la foule psychologique acquiert des caractères généraux, ceux-ci sont provisoires car répondant à des circonstances précises. Le fait majeur est donc la formation d’une « âme collective ». Celle-ci n’est pas source d’intelligence mais de médiocrité : selon Le Bon, les foules ne peuvent voire fusionner que des qualités ordinaires. La première explication convoquée est le sentiment de puissance que confère la multitude, sentiment de puissance qui conduit l’individu à céder à des instincts qu’il aurait, seul, réfrénés. L’anonymat de la foule renforce en outre l’absence du sentiment de responsabilité. La seconde explication est à chercher du côté de la contagion mentale : dans la foule, tout sentiment, tout acte est contagieux. A tel point que l’individu peut être amené à sacrifier son intérêt personnel à l’intérêt collectif. Enfin, la suggestibilité, que Le Bon rapproche de l’hypnose : en foule, il n’existe plus de personnalité consciente ni de volonté ou de discernement. Partant de ces constats, Le Bon avance que la foule est toujours intellectuellement inférieure à l’individu isolé.



  • Sentiments et moralité des foules

Impulsivité, mobilité et irritabilité caractérisent les sentiments et la moralité des foules. La multitude ne domine pas ses réflexes, elle est impulsive et dure à gouverner. Cela d’autant plus que la foule n’admet pas de contradiction entre ses désirs et leur réalisation. Toute suggestion contamine aussitôt tous les esprits présents, sans prise en compte de sa pertinence.


La perception des évènements est elle aussi altérée : rien n’est trop invraisemblable pour une foule. La foule est inaccessible aux nuances : ses sentiments sont très simples et exagérés. Les idées qu’on lui présente sont donc acceptées ou rejetées en bloc.


Sûre de sa force, la foule ne demande pourtant qu’à se faire dominer : asservie par les forts, elle foule aux pieds les faibles. La foule est capable de la férocité la plus sauvage comme du dévouement le plus complet. Sachant que l’intérêt personnel ne rentre pas en compte, tout se passe comme si la foule répondait à des stimulis de type pavloviens.



  • Idées, raisonnements et imagination des foules

Il y a deux types d’idées : les idées fondamentales, fruits de l’histoire, du milieu, de l’hérédité et les idées passagères, créées sous l’influence du moment.


Les foules ne sont réceptives aux idées que lorsque celles-ci adoptent une forme extrêmement simplifiée susceptible d’être représentée dans leur esprit par une image. En d’autres termes, une idée pour devenir « populaire » doit subir un certain nombre de modifications qui lui permet de pénétrer l’inconscient collectif sous forme d’image et donc de se transformer en sentiment. C’est le fait d’un long processus mais, une fois installée, une telle idée est difficile à déloger.


Partant, les foules sont totalement hermétiques aux raisonnements rigoureux. Leurs raisonnements ne sont qu’associations de choses dissemblables et généralisation de cas particuliers. Point d’esprit critique donc : jugements toujours imposés et jamais discutés.


Enfin, ne pensant qu’au moyen d’images, les foules ne sont impressionnées que par des images. Ce ne sont donc pas les faits qui frappent les foules mais la façon dont ils se présentent.



  • Formes religieuses que revêtent toutes les convictions des foules

Les convictions des foules ont ceci de particulier qu’elles prennent la forme de sentiments religieux : adoration d’un être supposé supérieur, crainte de la puissance qu’on lui attribue, soumission aveugle à ses commandements, impossibilité de discuter ses dogmes, désir de les répandre, tendance à considérer comme ennemis tous ceux qui refusent de les admettre. Pour la foule, il faut « être dieu ou ne rien être » c'est-à-dire convaincre qu’on détient la vérité et le pouvoir sous peine d’être foulé aux pieds.



  • Facteurs lointains et facteurs immédiats des opinions et croyances des foules

Les facteurs lointains rendent les foules capables d’adopter ou de rejeter certaines convictions : ce sont la race, les traditions, le temps, les institutions politiques et sociales, l’instruction et l’éducation.


Images, mots et formules sont les principaux facteurs immédiats des opinions des foules. La puissance des mots est liée à la puissance des images qu’ils évoquent indépendamment de leur signification réelle. Souvent, argue Le Bon, les hommes d’Etat ne font que baptiser de mots populaires, ou au moins neutres, les choses détestées des foules sous leurs anciens noms.L’importance des illusions souligne à quel point les foules n’ont que faire de la vérité. « Elles se détournent des évidences qui leur déplaisent, préférant déifier l’erreur qui sait les séduire », souligne Gustave Le Bon. Il est nécessaire d’illusionner les foules pour être leur maître ; les désillusionner c’est risquer d’en être leur victime.


Face à cette toute puissance de la doxa, l’expérience se pose comme le seul procédé véritablement efficace pour établir solidement une vérité dans l’âme des foules et détruire des illusions. Celle-ci doit néanmoins être répétée un nombre incalculable de fois pour que ses leçons puissent être retenues.En effet, les foules ne sont pas sensibles à la force des raisonnements. Comme nous l’avons vu précédemment, elles fonctionnent par associations d’idées. Les orateurs font donc appel à leurs sentiments et non à leur raison sachant que la méthode la plus efficace pour « vaincre une foule » c’est justement de se rendre compte de ses sentiments, feindre de les partager, puis les modifier en provocant au moyen d’associations rudimentaires des images suggestives



  • Les meneurs des foules et leurs moyens de persuasion

D’instinct, un nombre d’individus réunis se placent sous l’autorité d’un chef, d’un meneur. La volonté du meneur est le noyau autour duquel se forment toutes leurs opinions. Les meneurs sont en général des hommes d’action hypnotisés par leur propre idée. Leur rôle est de créer la foi : à partir de là, ils servent de guide.


Les moyens d’action des meneurs se résument à trois grands axes : l’affirmation, la répétition, la contagion. Pour entraîner une foule pour un instant, il faut des suggestions rapides qui peuvent prendre la forme d’exemples. Quand on veut faire pénétrer une idée dans sa tête, il n’y a que l’action, la répétition et la contagion (processus long mais effets durables). L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement ou de toute preuve, est le moyen le plus efficace pour faire pénétrer une idée dans l’âme des foules. Il faut qu’elle soit constamment répétée dans les mêmes termes et le plus possible. C’est seulement quand une affirmation a suffisamment été répétée dans les mêmes termes que se forme un courant d’opinion et que le mécanisme de la contagion intervient. Celui-ci est assez puissant pour imposer aux hommes non seulement certaines façons de penser mais aussi de sentir.


Le prestige enfin, en tant que fascination qu’exerce sur notre esprit un individu, une œuvre ou une doctrine joue un rôle important. Cela paralyse nos facultés critiques. Le propre du prestige est donc d’empêcher de voir les choses telles qu’elles sont et de paralyser nos jugements.



  • Limites de variabilité des croyances et des opinions des foules

Il faut savoir distinguer les grandes croyances permanentes qui se perpétuent sur plusieurs siècles, et sur lesquelles une civilisation entière repose, des opinions momentanées et changeantes.


Une opinion passagère s’établit facilement dans l’âme des foules mais il est difficile d’y ancrer une croyance durable comme il est difficile de la détruire quand elle s’est formée. Grâce aux croyances générales, les hommes sont entourés d’un réseau de traditions, d’opinions et de coutumes qui agissent tels des cadres référents incontournables et rendent les hommes toujours un peu plus semblables les uns des autres. Personne ne songe à s’y soustraire. Les opinions mobiles des foules : les opinions contraires aux sentiments et aux croyances de la race n’ont qu’une durée éphémère.


Cela dit, l’effacement des croyances générales constatée par Le Bon en cette fin de 19e siècle, laisse place à une foule d’opinions particulières sans passé ni avenir. La puissance des foules, trouvant de moins en moins de contrepoids, lui permet de manifester librement sa mobilité extrême d’opinion. La diffusion de la presse fait, en outre, passer sans cesse sous ses yeux les opinions les plus contraires : les suggestions engendrées par chacune d’elles sont donc vite détruites par des suggestions opposées.


Et Le Bon de conclure par conséquent à l’impuissance des gouvernements à diriger les opinions. L’opinion des foules tendrait ainsi à devenir le principe régulateur de la politique. Même la presse s’effacerait devant le pouvoir des foules : elle ne ferait que suivre les changements de la pensée publique ; la concurrence l’y contraignant, sous peine de perdre ses lecteurs.



  • Foules hétérogènes et foules homogènes

Les foules hétérogènes sont composées d’individus quelconques, quelque soit leur profession ou leur intelligence. L’âme de la foule est dominée par l’âme de la race. Une foule latine fera par exemple appel à Etat tandis qu’une foule anglo-saxonne en appellera seulement à l’initiative privée.


Les foules homogènes peuvent se décliner selon trois types : sectes, castes et classes. Les sectes réunissent des gens différents n’ayant entre eux que le lien des croyances. Les castes, quant à elles, ne comprennent que des individus de profession et par conséquent d’éducation et de milieu identiques. Les classes, enfin, se composent d’individus d’origines diverses réunis par certains intérêts, certaines habitudes de vie et d’éducation semblables.



  • Les foules dites criminelles

Les crimes d’une foule résultent généralement d’une suggestion puissante et les individus qui y ont pris part sont persuadés d’avoir obéi à un devoir. Les caractères d’une foule criminelle sont similaires à ceux d’une foule lambda : suggestibilité, crédulité, mobilité, exagération des sentiments bons ou mauvais, manifestation de certaines formes de moralité.



  • Les jurys de Cour d’Assises

Pas besoin de convertir tous les membres d’un jury ; seulement les meneurs qui détermineront l’opinion générale.



  • Les foules électorales

Elles n’ont qu’une faible aptitude au raisonnement, absence d’esprit critique, irritabilité, crédulité et simplisme. L’influence des meneurs est notable ainsi que le rôle des facteurs d’affirmation, de répétition et de contagion. La première qualité à posséder pour le candidat est le prestige. La moyenne des élus représente pour une nation l’âme moyenne de la race.



  • Les assemblées parlementaires

Le Bon dénonce l’idée « psychologiquement erronée » mais généralement admise que beaucoup d’hommes réunis sont bien plus capable qu’un petit nombre d’une décision sage et indépendante sur un sujet donné. Il critique la tendance à résoudre les problèmes sociaux les plus compliqués par les principes abstraits les plus simples et par des lois générales applicables à tous les cas. Les assemblées seraient très suggestibles notamment quand il s’agit de meneurs auréolés de prestige.


Cette suggestibilité a toutefois certaines limites : sur les questions locales, chaque membre d’une assemblée possède des opinions irréductibles et inébranlables. Sur des questions générales, chaque parti a ses propres meneurs qui exercent parfois une influence égale. Le député se trouve donc entre des suggestions contraires et devient très hésitant.



2. Discussions



  • Actualité de La Psychologie des foules

Plus que dans la saisie des réalités et dynamiques profondes animant le phénomène de foule, les analyses de Gustave Le Bon sont particulièrement pertinentes pour ce qui relève de la compréhension des mécanismes psychologiques des êtres sociaux.


Ainsi, force est de constater que la publicité et le marketing font un usage compulsif des principes énoncés par le triptyque affirmation, répétition et contagion. Pour illustrer notre propos, nous pouvons convoquer l’exemple d’un lancement publicitaire où l’on affirme l’excellence d’un produit à l’aide d’un véritable matraquage publicitaire afin de créer un effet de contagion sur le public des consommateurs. Or, comme le décrit avec justesse Le Bon, ce mécanisme de contagion est assez puissant pour imposer aux hommes non seulement certaines façons de penser mais aussi certaines façons de sentir : tel ou tel produit alimentaire est-il bon par ses qualités gustatives intrinsèques ou par le sens dont on a investi son goût ?


Ces analyses peuvent également s’étendre au monde politique : lors de la campagne présidentielle de 2002, certains acteurs de la vie politique ont placé le thème de l’insécurité au centre du débat en affirmant et répétant combien celui-ci constituait la préoccupation majeure des Français, avant que n’émerge et ne se propage à l’ensemble de la société française un sentiment d’insécurité qui débouchera sur le traumatisme du 21 avril.


Plus loin, il faut reconnaître que Gustave Le Bon a bien saisi l’impact potentiel de la communication par l’image. Lorsqu’il prétend que les raisonnements des individus réunis en foule ne sont qu’associations de choses dissemblables et généralisation de cas particuliers, Le Bon touche à un des mécanismes cruciaux de la publicité. En guise d’illustration, notons l’importance des associations d’idées dans une campagne publicitaire donnant à voir les équations suivantes : « je fume une cigarette donc je suis cow-boy » ou encore : « je conduit une voiture de sport donc je suis un héros ».



  • Critiques

Tout d’abord, il est nécessaire d’insister sur le manque de rigueur scientifique des analyses de Gustave Le Bon : le plus souvent, il ne fait que convoquer des exemples empruntés à l’Histoire pour corroborer ses thèses. La généralisation de cas particuliers est le procédé le plus récurrent. La qualité de la plume ne masque que partiellement l’absence de démonstration scientifique. Ses thèses ne sont pas validées par des observations statistiques (types de foules avec effectifs numériques et composantes démographiques comme les pourcentages des sexes et des âges, les pourcentages d’individus issus de telle ou telle catégories socio professionnelles). Sur ce point, le travail de Le Bon apparaît comme inférieur à celui, méthodique et objectif, de son contemporain Emile Durkheim (1858-1917) qui fonde la sociologie scientifique moderne.


L’œuvre de Le Bon appelle en outre d’autres bémols : son explication de la psychologie des foules est dépendante d’une vision bien établie de la société. Sa psychologie des masses divise en effet la société en deux parties : d’un côté l’élite, le parti de classe conscient et organisé et de l’autre, la masse inorganisée, la populace sous prolétaire, la rue. Le Bon distingue ainsi les meneurs, ceux qui dirigent, de ceux qui sont dirigés.


Pourtant, et c’est assez surprenant, en même temps qu’elle divise la société en deux, la psychologie des masses de Le Bon ne fait aucune distinction entre les individus en fonction de leur statut matériel et intellectuel lorsqu’ils sont en foule. En d’autres termes, Le Bon, en érigeant une barrière entre les masses et les élites nie simultanément les atouts de la pensée sociale et le potentiel d’action du sujet. Ce point a été l’objet particulier de la critique de chercheurs tels que Moscovici, Rouquette ou encore Barrows.


On peut avancer que Le Bon cède à la tentation de trop exprimer sa personnalité et ses intérêts individuels, manifestant une propension suspecte à défendre les avantages de sa classe sociale contre ceux des « foules populaires ». Il fait, par exemple, montre d’une hostilité farouche à l’extension de l’enseignement général, souhaitant au contraire celle de l’enseignement professionnel, le seul adapté, selon lui, aux destinées du prolétariat pour lequel il refuse toute possibilité de promotion sociale.


Le travail de Le Bon repose, en outre, sur un présupposé susceptible d’être contesté : selon lui, l’individu est « détérioré » par le groupe ; il y aurait donc des individus d’abord, puis des groupes où ces individus se rencontreraient et seraient dégradés. Or on peut supposer, avec Durkheim par exemple, que c’est d’abord le groupe qui existe et non pas l’individu, et que le groupe forme celui-ci par le processus de la socialisation et de l’éducation, au lieu de le déformer systématiquement comme le laisse entendre Le Bon. On peut donc dénoncer ici les travers d’une vision individualiste et élitiste de Le Bon face à la collectivité.


Cela dit c’est peut être avec l’un des contemporains et inspirateurs de Le Bon qu’on trouve la meilleure mise en lumière des limites de la psychologie des foules. Gabriel Tarde, juge d’instruction et criminologue de son état, s’est interrogé sur la pertinence du concept de foule pour caractériser la multitude contemporaine. Il a ainsi proposé la notion de « public », vu comme une autre façon d’être nombreux ou, autrement dit, comme le fait d’être avec d’autres sans le savoir ni le voir. Le développement de la presse à la fin du 19e et au début du 20e siècle concomitant des progrès de l’alphabétisation et de la publicité, a conduit à l’apparition d’un lectorat. Or, selon Tarde, le lecteur ne se situe pas dans la sphère publique mais dans l’espace privé. Par là, le public devient une forme de multitude plus importante que la foule : c’est la façon dominante d’être nombreux. Le lectorat, comme la télévision aujourd’hui, est par définition la vraie multitude : une foule rassemblée est limitée physiquement alors qu’un public n’est ni exclusif ni géographiquement localisé. Avec le développement de CNN on prétend d’ailleurs désormais toucher un public mondial. De plus, si la foule offre une sorte d’ivresse synonyme de l’affaiblissement de la raison, le public est une multitude froide et certainement plus apaisée : d’une part parce que les corps ne sont pas entraînés par la foule ; d’autre part parce que l’on peut être membre de plusieurs publics à la fois.